Nous sommes perplexes. Cette
maudite pandémie n'en finit plus de finir. Nos vies sont bouleversées. Nos
relations amicales sont mises sur pause. Les gouvernements font bien leur
possible pour préserver les vies, le système de santé, malgré tout nous en
avons ras le bol. Ce qui nous réconcilie avec tout cela c'est que nous croyons
à la science. Or, la science n'est pas la vérité infuse. La science est parfois
approximation et souvent tâtonnements. Rien n'est plus étranger à la science
que de fournir des réponses simples et définitives à une problématique donnée.
La science a le dos large en ce temps de pandémie. Réflexion libre sur la
science et ses fondements.
Qu'est-ce que la
science ?
Si on prend le temps de regarder
dans un dictionnaire la définition du mot science, on y apprend que c'est un nom féminin qui signifie : « Ensemble cohérent de connaissances relatives à
certaines catégories de faits, d'objets ou de phénomènes obéissant à des lois
et/ou vérifiés par les méthodes expérimentales. » (Dictionnaire Larousse)
Cela est relativement
clair, mais si l'on se réfère à une encyclopédie comme Universalis, on y trouve le même sens, mais on y apprend que la
science a connu une évolution dans le temps. La science des penseurs de
l'Antiquité, là où l'on y retrouve ses balbutiements avec la science grecque.
Il faut pour être exact référer aux sciences grecques que l'on doit comprendre
comme un ensemble de
questionnements, de méthodes et de résultats à l'origine de la pensée
mathématique et scientifique, qui se développera à partir du VIIIe siècle
av. J.-C. jusqu'à aujourd'hui. Historiquement, on peut donc affirmer sans
risque de se tromper que c'est dans la Grèce antique que les sciences en tant
que pensée rationnelle naissent, sous l'élan de philosophes
en même temps
penseurs et physiciens, ou chefs religieux. Toutefois, le terme de science
ne doit pas être pris au pied de la lettre : l'influence des philosophes,
la spéculation, l'invention font partie du savoir grec, et c'est l'attitude
scientifique, ainsi que les connaissances qui en sont issues qui nous intéressent ici.
Par la suite, les sciences se sont
développées sous l'emprise du religieux pendant un long moment. Les démêlés de
grands scientifiques comme Galilée avec l'Église au temps de l'inquisition en
constitue un rappel utile. Sans en faire un cas, chez nous, l'Église et la
science n'ont pas toujours fait bon ménage. L'historien Yves Gingras y a
d'ailleurs consacré un excellent ouvrage intitulé L'impossible dialogue. Sciences et religion publié en 2016 aux Éditions du
Boréal.
La science et les paradigmes
Ce qui complique singulièrement les choses pour comprendre
les fondements de la science c'est le triomphe du relativisme de notre époque.
Je m'explique en redéfinissant la science.
La science c'est un
ensemble cohérent de connaissances relatives à des faits vérifiés par
l'observation et l'expérimentation et selon une méthode scientifique
standardisée. Ce qui fait en sorte que les expériences faites et mises en
preuve pour valider une hypothèse ou prédire une loi de la nature doivent être
vérifiables par une communauté de pairs. La science n'est donc pas immobile
dans le temps, mais évolutive et elle évolue en fonction des méthodes
d'expérimentation, des technologies disponibles et de l'évolution des humains
qui constituent la communauté scientifique de pairs. Nous devons à Thomas Kuhn
cette idée que la science évolue en fonction de paradigmes qui sont liés à des
communautés historiques déterminées. Ce qui fait que la science d'hier n'est
pas nécessairement la science d'aujourd'hui. Dans les mots de Kuhn, la science
se construit à même des paradigmes. Un paradigme selon Thomas Kuhn, qui nous l'a révélé
dans son livre sur les révolutions scientifiques en 1962 (Thomas Kuhn dans son
chef-d'œuvre intitulé : La structure des révolutions scientifiques.), est constitué des « découvertes scientifiques
universellement reconnues qui, pour un temps, fournissent à un groupe de
chercheurs des problèmes types et des solutions ». Un paradigme peut être
infléchi ou totalement remis en cause s'il remplit un certain nombre de
conditions expérimentales ou d'insertion dans un nouveau paradigme. Les révolutions
scientifiques entraînent des changements de paradigme qui exigent du temps pour
pénétrer la communauté scientifique, car le nouveau modèle proposé doit vaincre
les obstacles épistémologiques et être assez robuste pour remettre en
cause le précédent. La « vérité scientifique » à un instant donné ne peut
représenter qu'un consensus temporaire au sein de cette communauté, les
paradigmes étant fluctuants, en particulier dans les sciences humaines et
sociales, notamment économiques.
Pour Kuhn, le concept de paradigme
est lié au monde de la science, mais plusieurs l'ont élargi à l'ensemble de nos
connaissances. Un paradigme c'est l'ensemble des croyances basées sur des
certitudes scientifiques qui balisent notre vision du monde. Penser selon un
paradigme donné c'est penser à l'intérieur de la boîte, à l'intérieur d'une
logique d'une époque. En ce sens, il faut savoir reconnaître que même la
science qui se veut objective souffre des limites du paradigme dans lequel elle
est enfermée.
Cela vient aussi mettre en jeu
l'organisation de la recherche. Par exemple, en ce moment, les chercheurs n'en
ont que pour la COVID-19. Ce qui est légitime étant donné les circonstances,
mais combien de recherches importantes et fondamentales pour notre avenir sont
laissées sur le bord de la route dans ce contexte particulier ? Le financement
de la recherche vient amplifier le phénomène. Ce qui conduit à affirmer que
malgré la prétention et ses habits la science n'est pas neutre et surtout
rarement définitive.
Le savant et la politique
La
science étant ce qu'elle est, on comprend aisément que ce n'est pas facile de
marier la science et la politique. Dans deux conférences prononcées en 1917 et
1919 à l'Université de Munich, le sociologue allemand Max Weber s'est
longuement interrogé sur la relation entre la science et le politique.
Dans
un livre paru en 2019, le sociologue Joseph-Yvon Thériault résume bien la pensée de
Weber. Lisons-le ensemble : « Max Weber énonce dans ces deux conférences
un cul-de-sac pratique, quelque chose d'impossible à réaliser. Il établit une
coupure radicale entre la vocation de savant, qui serait la recherche de la
vérité, et la vocation du politique, qui se
rapporterait à la passion. Ce
seraient des vocations irréconciliables. Le savant veut comprendre le monde, le
politique le transformer. La science repose sur l'intellectualisation et la
rationalisation, le politique sur la morale, la passion voire le prophétisme.
Si pour "l'homme politique", il ajoute comme qualités déterminantes à la
passion le sentiment de responsabilité et le coup d'œil (avoir du pif, plus
savamment, de la vertu), pour le savant, il lui interdit d'avoir des valeurs,
des passions bref de donner des leçons. » (Joseph Yvon Thériault, Sept leçons sur le
cosmopolitisme. Agir politique et imaginaire démocratique [Débats],
Montréal, Québec Amérique, 2019, p. 25-26.)
Arruda, Legault et la volatilité
des consignes sanitaires...
Un long détour pour réfléchir
ensemble à la signification de ces embrouillaminis entre la santé publique et
le gouvernement de François Legault. La nature même des activités de l'un (santé
publique) et de l'autre (gouvernement), explique à elle seule la cohabitation
difficile de ces deux univers. C'est le choix politique du gouvernement Legault
de tenir des conférences de presse commune avec les responsables de la santé
publique qui crée le contexte dans lequel nous sommes. Un choix discutable puisque
de l'aveu même du premier ministre Legault c'est lui qui prend les décisions.
Rien de plus légitime, car c'est lui qui devra nous rendre des comptes. Néanmoins,
il aurait pu nous dire clairement que la santé publique n'avait pas recommandé
le port du masque à l'extérieur pour deux personnes ni le port d'un masque pour
jouer au golf ou au tennis. Dans ce dossier, le premier ministre Legault a
poussé le bouchon trop fort et la population a réagi fortement. Il a dû reculer,
mais en perdant un peu de légitimité. Désormais, il faut se méfier de celles et
ceux qui n'ont que comme argument qu'il faut écouter la science... Vraiment
monsieur Legault !